Quand le jeu vidéo expérimente avec le souvenir


De grandes résidences bétonnées dans « The Elder Scrolls III: Morrowind », modélisées par le créateur d’Emba-5 d’après ses souvenirs.

Derrière le nom d’Emba-5 : une ancienne ville militarisée du bloc soviétique, construite en plein désert kazakh pour héberger les troupes en garnison. Bâtie dans les années 1960, la ville s’est peu à peu agrandie pour accueillir immeubles résidentiels, parcs, commerces et divers lieux de vie, comme un cinéma ou une discothèque érigés au beau milieu des chars d’assaut et des lance-missiles. Des familles y ont vécu pendant une quarantaine d’années, jusqu’à sa destruction progressive après la chute de l’URSS. Elle a alors été masquée sur les cartes officielles en raison du secret militaire.

Aujourd’hui, Emba-5 a disparu ; la ville a été officiellement renommée Jem et fait partie de la République du Kazakhstan. Il reste cependant un moyen de la visiter : en lançant un jeu vidéo initialement sorti en 2002, The Elder Scrolls III: Morrowind.

C’est en modifiant très lourdement Morrowind au point de le rendre méconnaissable que le joueur russe Ozone a recréé « de façon topographiquement correcte » Emba-5, ville dans laquelle il a passé son enfance, expliquait-il en 2006, alors qu’il en posait les premières briques virtuelles. Dans son mod (pour « modification »), les créatures et les fables fantastiques de Morrowind laissent place à des barres d’immeubles soviétiques et des routes bétonnées où traînent des personnages en survêtement Adidas. On peut y visiter une gare ferroviaire et l’intérieur d’appartements résidentiels, dans lesquels des bouteilles de bière d’époque et de vieilles émissions télévisées soviétiques donnent l’impression d’avoir ouvert une capsule temporelle.

Pas d’elfes ni de dragons à Emba-5 : on y affronte des humains en tenue de sport.

Reconstruire le souvenir ou repenser l’Histoire

Un travail de modification et de modélisation qui aura pris quinze ans à Ozone. « Je recrée ma ville avec amour, parce que je n’arrive pas à croire qu’elle n’existe plus. Je me souviens de tellement de choses, ce projet est un peu le reflet de mon âme », racontait-il sur des forums en 2006. Pour Edwige Lelièvre, chercheuse en développement de jeux vidéo au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, sa démarche a du sens : « Le jeu vidéo peut devenir une façon de conserver une trace, comme un photographe ou un peintre pourraient capter un morceau de réel dans une reproduction. »

Les outils mis à disposition par les jeux vidéo peuvent servir à célébrer l’histoire, mais aussi à la réinventer, en imaginant une réalité alternative. C’est le cas du projet #noWARsaw2021, lancé par l’expert en urbanisme polonais Krzysztof Rucinski. Dans une série documentaire publiée sur YouTube, il imagine à quoi aurait pu ressembler la ville de Varsovie en 2021 si elle n’avait pas été en partie détruite durant la seconde guerre mondiale. C’est le jeu de gestion et d’urbanisme Cities: Skylines (2015) qu’il a choisi comme support : « C’est un peu plus sérieux qu’une simple série de vidéos sur Cities: Skylines, cela nous permet de plonger dans des questions politiques, économiques et sociales », raconte-t-il en présentant son projet dans le premier épisode.

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Catégorie article Politique

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